Jack se tenait derrière la vitre de son bureau, son regard parcourant le Hub désert. Gwen était rentrée se faire réconforter par son Rhys, Tosh devait se gaver de glace devant un bon film ou surfer sur le net pour essayer d’oublier ce qui s’était passé, et Owen devait sûrement écumer les bars à la recherche d’un ou une partenaire pour la nuit. Il ne restait que lui… et Ianto. Il s’aperçut soudain qu’il ne l’avait pas vu quitter les lieux. Un peu inquiet – on le serait à moins après ce qui leur était arrivé quelques heures plus tôt – il se dirigea vers la salle de réunion. Son cœur se serra lorsqu’il vit son ami endormi sur le sofa. Jack alla chercher une couverture et la plaça sur le jeune homme. Il resta un moment à le regarder, parcourant des yeux les blessures encore vives et les hématomes qui commençaient à virer au violet. L’adrénaline l’avait empêché de s’inquiéter pour Ianto, mais, maintenant que c’était fini, il recevait de plein fouet le contrecoup de cette journée horrible. Il réalisa qu’il avait failli perdre la seule personne à qui il tenait vraiment, celui pour qui il restait à Cardiff, à Torchwood 3. Les jambes coupées, il se laissa tomber sur le bord du sofa, prenant tout de même garde à ne pas réveiller le dormeur. Sa main monta caresser tendrement la joue de Ianto qui frémit. Jack retira ses doigts, il ne voulait pas le tirer de son sommeil réparateur. Il se releva, prit une chaise et s’assit près du sofa pour veiller sur son ami.
Jack sursauta. Il s’était endormi sans s’en rendre compte et avait été réveillé en sursaut par un gémissement près de lui. Il leva les yeux sur Ianto qui s’agitait dans son sommeil, en proie à un cauchemar. Jack retourna s’asseoir près de lui et posa une main sur son épaule :
— Ianto ? Ianto, réveille-toi !
Il le secoua doucement. Le jeune homme ouvrit brusquement les yeux, l’air affolé.
— Calme-toi… tout va bien… tu ne risques rien…
— Jack ?
L’intéressé sourit.
— Qui veux-tu que ce soit ? plaisanta t’il.
Ianto s’assit, passa une main sur son visage puis souffla :
— J’ai fait un cauchemar…
— Je m’en doutais. Tu veux en parler ?
— Non merci, ça ira. Je vais aller faire du café.
Jack se leva pour le laisser passer. Il était un peu déçu que son ami refuse de lui confier ses tourments, mais après ce qui était arrivé avec Lisa, il n’en était pas surpris. Alors que Ianto allait quitter la pièce, Jack demanda précipitamment :
— Tu m’en veux toujours ?
Le jeune homme se figea. Il resta silencieux un long moment, puis finit par répondre dans un souffle :
— Je t’aime trop pour t’en vouloir longtemps…
Avant que Jack ait eu le temps de réagir, Ianto était sorti et avait descendu les escaliers presque en courant. Un sourire naquit sur les lèvres du responsable de Torchwood 3. C’était la première fois que le Gallois prononçait ces mots. Ce n’était pas une surprise, depuis toutes ces années qu’ils se connaissaient… qu’ils étaient bien plus que des amis, mais pour Jack, cela signifiait beaucoup. Lui qui avait connu et aimé tant d’hommes et de femmes au cours de sa très longue vie, il ne s’était jamais senti aussi proche d’une personne qu’il ne l’était de Ianto. Ce qui avait rendu sa traîtrise encore plus douloureuse. Peut-être que s’ils n’avaient pas partagé autant de moments intimes depuis leur rencontre, il aurait eu moins de mal à accepter que son ami ait dissimulé Lisa, son ex petite-amie, dans les sous-sols du bâtiment. Jack était conscient que s’il avait été aussi dur avec Ianto durant cet incident, c’était justement à cause de ce sentiment de trahison qu’il avait ressenti.
Il sortit de ses pensées en entendant la porte blindée du Hub s’ouvrir. Il se leva et se dirigea vers l’escalier. Ianto remontait, un plateau chargé dans les mains. Sans un regard pour Jack, il alla poser la cafetière et les tasses sur la table.
— Tu aurais pu le préparer ici.
— J’avais laissé mon café « magique » en haut, répondit le Gallois, toujours sans le regarder.
Jack entendit dans sa voix que quelque chose n’allait pas. Il s’approcha et posa la main sur l’épaule de son ami qui se crispa instantanément.
— Ianto, regarde-moi.
Le Gallois ne bougea pas mais Jack pouvait sentir la tension dans ses muscles.
— Regarde-moi ! C’est un ordre !
Son ami finit par obéir. Il fit volte-face, mais garda les yeux baissés. Jack prit son menton pour l'obliger à lever la tête et fut bouleversé par les larmes qu’il vit couler sur le visage de son compagnon. Sans un mot, il se pencha, déposant un léger baiser sur les lèvres entrouvertes de Ianto, et l’enlaça tendrement. Le corps d’abord tendu du jeune homme finit par se relaxer dans l’étreinte chaleureuse. Le baiser se fit plus profond lorsque leurs langues se rencontrèrent et les mains du Gallois se crispèrent sur les hanches de son compagnon. Ils se séparèrent, un peu essoufflés. Jack essuya tendrement les joues humides de Ianto qui lui adressa un petit sourire forcé.
— Le café va être froid.
Le jeune homme se dégagea des bras de son ami et servit le breuvage dans les tasses. Il alla ensuite s’asseoir de l’autre côté de la table, mettant sciemment de la distance entre eux. Jack retint un soupir. Il s’assit face à son compagnon et but lentement son café noir, le regard fixé sur Ianto qui avait à nouveau baissé les yeux.
— Pourquoi tu ne veux pas me parler ? demanda Jack d’une voix douce. Tu sais que tu peux me faire confiance.
— Je sais… mais il n’y a rien à dire…
— Ne me mens pas. Je sens que tu ne vas pas bien. Ce qui est tout à fait normal compte tenu de ce qui t’es arrivé aujourd’hui.
— Je vais bien, insista Ianto. Ce n’est pas parce que j’ai failli me faire égorger et dévorer par une bande de dingues anthropophages que je vais me laisser aller, ajouta t’il en souriant.
Jack n’était pas dupe. Il le connaissait trop bien pour avaler ses mensonges. Mais, il ne savait pas comment il pourrait l’obliger à lui parler s’il ne le voulait pas. Il reposa sa tasse et s’appuya nonchalamment au dossier de sa chaise.
— Moi, à ta place, j’aurais été traumatisé !
— Tu n’aurais pas pu être à ma place…
— Que veux-tu dire ?
— Tu le sais très bien. Tu ne peux pas mourir… et puis, tu ne te serais pas laissé prendre aussi bêtement…
Jack soupira. Il avait enfin l’explication du comportement de son compagnon.
— Je ne suis pas aussi doué que tu sembles le croire ! Il m’arrive aussi de faire des erreurs ou de me faire avoir par des gens en qui j’avais confiance…
Au moment où les mots sortaient de sa bouche, il réalisa son erreur. Mais, contrairement à ce qu’il attendait, son ami se contenta de secouer la tête.
— Pendant que j’étais prisonnier de ces gens… alors que je pensais que j’allais mourir, j’ai enfin réalisé que je t’avais fait du mal en installant Lisa ici sans t’en parler. J’ai fait une énorme erreur et j’ai même été surpris que tu aies accepté que je reste ici.
— J’ai eu mal, je l’avoue, mais je ne pouvais pas te laisser partir… quoi qu’il arrive, je ne pourrais jamais t’éloigner de moi…
Ianto resta silencieux un moment, puis souffla :
— J’ai failli partir…
Jack se redressa sur sa chaise, surpris par cet aveu. Son ami reprit :
— Après que… que Lisa soit morte… je t’en voulais horriblement… je pensais que je ne pourrais plus supporter de te regarder en face en sachant ce que tu avais fait… et puis…
Il se tut. Jack, impatient, demanda :
— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
— J’avais pris mes affaires et j’étais sorti du bâtiment. Là, j’ai commis une erreur… je me suis retourné… et je t’ai vu. Tu arrivais en voiture avec Tosh. C’est à ce moment-là que j’ai compris quels étaient vraiment mes sentiments… alors je suis revenu.
— J’en suis heureux ! sourit Jack.
Ianto leva enfin les yeux vers lui. Des larmes perlaient aux coins de ses paupières alors qu’il fixait son regard sur son ami. Jack se leva, contourna la table et vint s’accroupir près de son compagnon. Il lui prit les mains dans les siennes et promit :
— Quoi qu’il puisse se passer, je te jure que je serai toujours là pour toi, Ianto. Si tu as besoin de parler, de te confier, je suis là…
Le jeune homme hocha la tête silencieusement. Il ouvrit la bouche pour parler, mais les mots semblèrent coincés dans sa gorge et il éclata en sanglots. Tout son corps tremblait violemment alors qu’il évacuait le stress et le choc de cette terrible mésaventure, le visage enfoui dans le cou de Jack qui l’avait aussitôt enlacé.
— J’ai eu si peur ! hoqueta Ianto entre deux sanglots.
— Je sais… je suis désolé… je n’aurais jamais du t’emmener là-bas… et surtout, j’aurais du mieux veiller sur toi. Mais maintenant, je suis là. Je serai toujours là, je te le jure.
Peu à peu, le jeune homme se détendit dans les bras de son ami qui lui caressait tendrement le dos pour l’apaiser. Ils restèrent un long moment enlacés. Jack se sentait bien, enfin chez lui. Il murmura :
— Tu as besoin de dormir. Viens.
Il se releva, entraînant Ianto avec lui, et le conduisit jusqu’au sofa. Là, il s’étendit contre le dossier puis ouvrit les bras à son compagnon qui vint se blottir contre lui.
— Repose-toi, je veille sur toi.
— Merci, Jack…
Le jeune homme ferma les yeux, la joue appuyée sur le torse de son compagnon. Jack lui caressa machinalement le dos, puis finit par le rejoindre au pays des rêves.
Fic terminée le 17/02/2007.