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Les feuilles commençaient à jaunir et à tomber en tourbillonnant sur le campus de l'Université de Philadelphie, recouvrant les pelouses et les chemins. Les étudiants avaient troqué leurs fines vestes d'été, leurs pantalons de flanelle et leurs jupes courtes contre des vêtements plus adaptés à la température qui descendait chaque jour un peu plus.
Gabriel jeta un bref coup d'œil au ciel avant de quitter le département d'informatique. Les nuages menaçants du matin avaient fait place à un ciel dégagé, éloignant ainsi tout risque d'averse. Le jeune homme sourit, passa une main dans ses courts cheveux châtains clairs, puis se dirigea vers la bibliothèque après avoir vérifié l'heure à la grande pendule située en face de lui. Lorsqu'il arriva devant l'imposante bâtisse, sa meilleure amie, une grande brune aux longs cheveux bouclés et aux yeux d'un noir profond, l'y attendait déjà.
- T'es en retard, Gabe !
- Désolé, Alex, j'avais un problème avec mon algorithme récursif.
- Ouh là ! Commence pas à me parler de ça, tu sais très bien que j'y connais rien à tout ça moi ! Tu me causerais en chinois, ça serait pareil !
Gabriel éclata de rire, puis prit le bras d'Alexine et l'entraîna vers le parking.
- Ta journée s'est bien passée ? Demanda t'il en remontant son sac qui commençait à glisser de son épaule.
- Comme d'hab. Et toi ? A part ton problème de machin récur-je sais pas quoi...
Le jeune homme ouvrait la bouche pour corriger gentiment son amie lorsque les mots s'étranglèrent dans sa gorge. Quelqu'un se tenait assis sur le capot de sa voiture, une personne qu'il ne pensait pas revoir un jour. Son cœur se serra.
- Gabe ? Ca va ?
Il ne put répondre. Son regard azur était fixé sur l'homme immobile qui semblait les attendre. Gabriel le détailla : les cheveux châtains, mi-longs, lui tombant sur les épaules, le visage sérieux avec un éclat inconnu qui faisait briller ses yeux gris-bleus ; il était vêtu d'un jean noir plutôt moulant, d'une chemise blanche et d'un blouson en cuir marron foncé un peu élimé. Alexine regardait les deux hommes tour à tour, essayant de comprendre ce qui se passait.
- Gabe ? Qui est-ce ?
Le jeune homme déglutit difficilement, puis répondit dans un souffle :
- Mon frère...
- Ton frère ? Je suis ta meilleure amie depuis quatre ans et tu ne m'as jamais dit que tu avais un frère !
- Je...
Avant qu'il ait pu expliquer la situation à son amie, l'autre homme s'était approché. Il s'arrêta juste en face d'eux, souriant légèrement.
- Bonjour, Gabriel.
- Eric...
La jeune femme intervint :
- Bonjour ! Je m'appelle Alexine. Ravie de vous rencontrer.
Eric lui sourit et serra la main qu'elle tendait.
- Moi de même.
- Je suis sûre que vous avez plein de choses à vous dire, tous les deux. Je vais vous laisser et rentrer en bus.
A ces mots, Gabriel sembla sortir de son état de stupeur et lança :
- Pas question, je te raccompagne, comme prévu !
- Je...
- Monte !
Le jeune homme ouvrit la portière du passager pour son amie et fit le tour de la voiture pour y monter lorsque son frère l'arrêta en posant la main sur son bras.
- Il faut qu'on parle...
Gabriel soupira. Il n'avait aucune envie de se retrouver seul avec Eric, mais il ne voulait pas faire une scène devant Alexine. Alors il céda :
- Monte à l'arrière.

Le trajet se fit dans un silence de mort. Gabriel ne cessait de jeter des coups d'œil à son frère dans le rétroviseur. Celui-ci semblait plongé dans ses pensées, le regard dans le vide. Enfin, au bout d'une demi-heure, ils se garèrent devant l'immeuble où vivait Alexine. La jeune femme se pencha pour embrasser son meilleur ami sur la joue et lui souffla à l'oreille :
- Si tu as besoin, appelle-moi.
Il la remercia d'un sourire, puis redémarra dès qu'elle fut entrée dans le bâtiment. Cinq minutes plus tard, Gabriel se gara dans l'allée de sa maison. Il descendit de la voiture sans un mot, suivi par Eric, un sac de voyage à la main. Une fois à l'intérieur, le nouveau venu lança :
- Tu comptes ignorer ma présence encore longtemps ?
Gabriel, qui lui tournait le dos, serra les poings, sentant la colère monter en lui.
- J'ai du boulot pour demain ! Grogna t'il. Tu n'as qu'à faire comme chez toi...
Il monta au premier sans attendre de réponse et s'enferma dans sa chambre. Il laissa tomber son sac au sol, fit quelques pas et s'assit en soupirant sur son lit. Il se passa une main sur le visage, essuyant les larmes qui y coulaient sans qu'il parvienne à les retenir. Le retour d'Eric le perturbait bien plus qu'il ne l'aurait jamais avoué. Une multitude de sentiments se battaient en lui, sans qu'il parvienne à savoir lequel prédominait. Son regard de posa sur une photo qui trônait sur sa table de chevet, une photo de lui et de leur père. Il soupira profondément, puis décida qu'il n'allait pas laisser son aîné lui gâcher la vie. Il allait faire en sorte qu'Eric reparte le plus rapidement possible et sorte de sa vie à tout jamais cette fois-ci.

Lorsqu’il redescendit, il trouva Eric debout devant la cheminée où trônaient une dizaine de photos encadrées.
- Je vois qu’il n’y en a pas de moi…
- Papa les a toutes jetées après que tu sois parti. Ecoute, je n’ai pas envie que tu me donnes des excuses bidons sur les raisons qui t’ont poussé à partir. Je veux juste que tu me dises ce que tu fais ici et que tu repartes d’où tu viens.
- J’ai appris pour Papa…
Gabriel s’approcha, furieux :
- Ca fait deux ans qu’il est mort ! Deux ans que je galère, que je bosse le soir, les week-ends et les vacances pour pouvoir me payer mes études ! Et toi, tu débarques comme ça, maintenant, après tout ce temps ? Tu te fous de moi ?
- J’étais à l’étranger… je ne l’ai appris que la semaine dernière, souffla Eric, l’air triste. Je suis venu dès que j’ai pu.
Le cadet prit une grande inspiration pour tenter de se calmer.
- Tu devrais t’en aller.
- Non. Je suis autant chez moi que toi. Je suis passé chez le notaire avant de venir à la fac et il m’a dit que Papa n’avait pas fait de testament et que, par conséquent, la maison m’appartient pour moitié.
- Tu vas t’installer ici ? demanda Gabriel, oscillant entre colère et surprise.
- Oui.
- Si tu veux ta part de l'argent que Papa a laissé, je ne l'ai plus. J'ai dû l'utiliser pour payer ses obsèques et les quelques dettes qu'il avait.
- Je me fous de l’argent. J’ai un boulot, je n’ai pas besoin de ça. Je veux juste vivre ici à nouveau.
Le plus jeune fixa un long moment son frère, réfléchissant à la situation. Il n’avait pas le droit de jeter Eric dehors… il n’avait donc pas le choix et devait se résigner à le laisser habiter avec lui.
- Ok. Mais que tu vives ici ne veux pas dire que tu as le droit de te mêler de ma vie ! Je ne suis plus un gamin, j’ai appris à me débrouiller tout seul et je ne veux pas que tu mettes ton nez dans mes affaires.
- Compris.
Après un dernier regard furieux à son aîné, il remonta dans sa chambre. Il prit son portable, puis envoya un SMS à Alexine :
« Je peux venir ? »
Il eut la réponse immédiatement :
« Bien sûr ! »
Il ramassa son blouson, prit ses clés de voiture, puis quitta la maison sans même un regard pour Eric qui se trouvait toujours dans le salon.

A peine Alexine avait-elle ouvert sa porte que Gabriel se jetait dans ses bras. Elle le serra contre lui, l’entraînant à l’intérieur afin de pouvoir refermer, puis le conduisit vers le sofa. Elle s’assit et il se blottit à nouveau contre elle, le visage dans son cou. Elle savait que lorsque son ami était dans cet état, il ne servait à rien de l’interroger alors elle attendit qu’il se décide à parler de lui-même. Au bout d’une demi-heure, il se dégagea de son étreinte et s’allongea, la tête sur ses genoux. Elle lui caressa machinalement les cheveux alors qu’il soufflait :
- Je le déteste… Il était tout pour moi et il m’a abandonné…
- Que s’est-il passé ?
Gabriel soupira, puis se lança :
- Eric a six ans de plus que moi. Quand nous étions enfants, c’était mon héros, je voulais lui ressembler. Il me protégeait des grands qui m’embêtaient, il était fort… J’étais toujours collé à lui mais il ne me repoussait jamais… Comme tu le sais, ma mère est morte peu après ma naissance et Eric, même s’il était un enfant, m’a pratiquement élevé, notre père étant trop occupé par son boulot… Et puis un jour, alors que je venais d’avoir quatorze ans, il est parti…

Flashback

Gabriel poussa la porte de la maison et fut surpris de trouver son père en train de faire les cent pas dans le salon.
- Papa ? T’es pas au boulot ?
- Fiston, assieds-toi, il faut qu’on parle.
L’adolescent obéit, inquiet. Son père prit place en face de lui et soupira profondément :
- Eric est parti.
- Parti ? Où ça ? Il revient quand ?
- Il a quitté la maison… et il ne reviendra pas.
- Quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Il a renié sa famille… Il ne pouvait plus rester ici.
- Il ne peut pas partir comme ça ! Il ne peut pas partir sans me dire « au revoir » !
- C’est trop tard, Gaby.
- Non ! Je ne veux pas !
Il se précipita dans la chambre de son aîné pour découvrir que la majorité des affaires de celui-ci avaient disparu. En larmes, il se tourna alors vers son père qui venait de le rejoindre.
- Papa ! Je veux qu’il revienne !
- Tu es un grand garçon, Gabriel. Tu dois être fort.
- Je veux mon frère !
- Eric ne fait plus partie de cette famille ! Je ne veux plus que tu parles de lui ! A partir de maintenant, je n’ai plus qu’un seul fils : toi !
L’adolescent, bouleversé, quitta la pièce et alla s’enfermer dans sa chambre où il fondit en larmes sur son lit.

Fin Flashback


- J’ai passé toute la nuit à pleurer… Je ne comprenais pas ce qui avait bien pu se passer… mon père n’a jamais voulu en parler et s’énervait dès que je prononçais le nom d’Eric. Il a brûlé toutes ses photos, jeté le reste de ses affaires… Tout ça était d’autant plus incohérent qu’Eric avait toujours été son préféré…
- Tu n’as jamais pu savoir ce qui s’était passé ?
- Non... Je n’avais pas revu Eric jusqu’à tout à l’heure.
- Ca fait… cinq ans, c’est ça ?
- Oui. Je ne sais plus trop où j’en suis… une partie de moi aimerait comprendre pourquoi il est parti, pourquoi il m’a abandonné… mais une autre partie de moi ne veut rien savoir, veut qu’il reparte d’où il vient et ne veut plus en entendre parler…
- C’est ton frère…
- Je sais… Et la maison lui appartient à moitié… donc je vais bien être obligé de supporter sa présence.
- Tu sais que si tu as besoin de parler ou juste de compagnie, je suis là.
- Oui. Merci, ma puce.
- De rien, mon grand.
Gabriel se redressa, sourit à son amie et la serra dans ses bras.
- Je vais te laisser. Je passe te chercher à huit heures demain ?
- Oui. Et ne sois pas en retard !
- Promis…

Gabriel poussa la porte de la maison en soupirant. Il fut soulagé de constater que son frère ne se trouvait plus dans le salon. Alors qu'il allait monter les escaliers, il entendit du bruit au premier. Intrigué, il se dirigea vers la chambre jusqu'alors inutilisée dont la porte était grande ouverte. Eric avait installé un matelas gonflable sur le sol et vidait le contenu de son sac de voyage dans le placard. En entendant son cadet, il se retourna et lui sourit :
- Mes affaires sont au garde-meuble. J'irai les chercher demain.
- Fais comme tu veux, je m'en fiche !
Gabriel fit volte-face et se dirigea vers sa chambre. Il allait y arriver lorsque la main de son frère le retint :
- Attends !
- Quoi ? Demanda le plus jeune, agacé.
Eric ouvrit la bouche pour répondre, mais la referma finalement sans rien dire et retourna dans sa chambre. Gabriel soupira. Il sentait que la cohabitation allait être éprouvante...

Une semaine plus tard

Gabriel était assis sur les marches de la bibliothèque. Pour une fois, c'était Alexine qui était en retard mais il ne lui en voulait pas, vu le nombre de fois où elle l'avait attendu. Lorsque la jeune femme arriva, essoufflée d'avoir couru, il sourit :
- T'étais pas obligée de piquer un sprint !
- Je voulais pas... te mettre en retard... pour ton boulot...
- T'en fais pas pour ça, Jason est très compréhensif.
- C'est pas une raison, sourit son amie. On y va ?
- Ok.
Ils montèrent en voiture. Au moment où il démarrait, Alexine demanda :
- Comment ça se passe avec Eric ?
- Bien. Il n'est quasiment jamais à la maison... et quand il y est, je l'ignore.
- Arrête ! Tu joues les durs comme ça, mais je suis sûre que tu meures d'envie de savoir ce qu'il fait de ses journées !
- Tu te trompes, je m'en fous totalement !
- Gabe !
Agacé, il jeta un bref coup d'œil à son amie qui le fixait d'un air réprobateur.
- Quoi ?
- Je te connais assez pour savoir que tu n'es pas indifférent.
- Effectivement, je ne le suis pas. Je suis en colère ! Ce type ne donne pas signe de vie pendant cinq ans et voilà qu'il se pointe et s'installe à la maison comme s'il ne l'avait jamais quittée !
- Je sais que tu lui en veux d'être parti, mais si tu lui laissais une chance de s'expliquer à ce sujet ?
- Je veux rien savoir... Je préfère rester dans l'ignorance...
- Et ainsi continuer à le détester, peut-être sans raison ?
Alexine avait marqué un point. Gabriel le savait : depuis que son aîné avait réapparu dans sa vie, il faisait tout pour entretenir la rancœur qu'il ressentait envers lui plutôt que de chercher à lui pardonner son départ. Il arrêta la voiture devant l'immeuble de son amie. Elle descendit de voiture puis se pencha vers lui avant de fermer la portière.
- Tu devrais faire un petit effort, Gabe. Je suis sûre qu'il a une très bonne explication à te donner.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre. Il soupira profondément en démarrant à nouveau. Quelques minutes plus tard, il arrivait à son travail, une boîte d'informatique où il était employé comme réparateur itinérant.
Son patron, Jason Barnes, un homme de taille moyenne aux cheveux roux et aux yeux verts, sourit en le voyant entrer.
- Tiens, tu arrives juste à temps !
Il lui tendit une feuille de mission.
- Le cabinet d'architectes Singer, Wymans et Peterson a des problèmes avec l'un de ses serveurs d'archivage.
- Ok, j'y vais !
Il alla prendre son matériel, la clé de sa voiture de fonction et repartit.

L'intervention avait été longue et difficile, mais Gabriel avait réussi à remettre le serveur en parfait état de marche. Il fit signer sa feuille de mission au responsable de l'équipement informatique de la boîte, puis prit l'ascenseur pour quitter les lieux. Alors qu'il débouchait dans le hall, il eut la surprise de voir un visage familier derrière le comptoir du gardien.
- Eric ?
L'intéressé leva les yeux, aussi surpris que lui.
- Gabriel ! Je vois que tu bosses pour Barnes Computers. T'es venu faire un dépannage ?
- Oui... mais toi... qu'est-ce que tu fais là ?
- Je travaille ici depuis que je suis revenu en ville. Les horaires et la paye sont intéressants.
- C'est pas... dangereux... d'être gardien ?
- Ici ? Non. C'est pas une banque ! A part quelques clochards qu'on doit mettre dehors de temps en temps, c'est plutôt calme.
Gabriel hocha la tête. Eric lui sourit subitement :
- Tu te rends compte que c'est la plus longue conversation que nous ayons eue depuis mon retour ?
- Je sais, admit le plus jeune. Bon, faut que j'y aille ou mon patron va se demander ce que je fais.
- Ok. On se voit tout à l'heure à la maison ?
Gabriel ne répondit pas. Il quitta le bâtiment en hâte. Une fois assis dans sa voiture de fonction, il réalisa qu'il avait réussi à parler à son frère sans s'énerver... et décida qu'il était temps qu'il fasse un effort. Il sentait qu'il gaspillait son énergie à vouloir sans arrêt éviter Eric... et qu'il ne pourrait pas continuer comme ça indéfiniment.

Le lendemain matin

Comme tous les samedis, Gabriel allait travailler toute la journée pour Barnes Computers, mais ce matin là, il avait eu un mal fou à se lever. Pas vraiment réveillé, il poussa la porte de la salle de bains et sursauta en voyant qu'elle était déjà occupée. Eric se tenait devant le miroir, finissant de se coiffer,
- Salut ! Lança l'aîné en souriant. Bien dormi ?
- Je... oui... bredouilla le plus jeune.
Son regard s'était posé sur le dos nu de son frère où se voyaient de nombreuses cicatrices, certaines anciennes mais d'autres semblant très récentes. Gabriel se sentait complètement retourné par ce qu'il découvrait. Il ouvrit la bouche pour interroger son aîné, mais celui-ci enfila sa chemise d'uniforme et se tourna vers lui :
- Je te laisse la place. Je suis déjà pas en avance ! A ce soir !
Gabriel s'effaça pour le laisser passer, incapable de répondre. Ce ne fut que lorsqu'il entendit la porte d'entrée se refermer qu'il se secoua et fonça se préparer pour ne pas être en retard à son travail.

Toute la journée, le jeune homme ne fit que penser aux cicatrices de son frère. Tellement bien que Jason dût le rappeler à l'ordre plusieurs fois pour qu'il se concentre un peu sur ce qu'il faisait. Enfin, il débaucha à dix-neuf heures et rentra chez lui. Eric n'était pas encore là. Toujours aussi perturbé par sa découverte du matin, Gabriel décida qu'il était temps pour lui d'écouter son aîné.
Il zappait sans arrêt lorsqu'il entendit la voiture d'Eric se garer dans l'allée. Souriant, il attendit que son frère entre dans la maison et l'interpella.
- Dis, ce soir, y'a Star Wars à la télé. Ca te dit qu'on le regarde ensemble ?
L'aîné adressa un regard surpris à son cadet, puis sourit largement.
- Avec plaisir. Je vais me changer.
- Ok. Je nous commande une pizza, ça te va ?
- Parfait !
Quelques minutes plus tard, Eric s'asseyait à l'autre bout du sofa. Gabriel zappait toujours, nerveux. Il se leva d'un bond lorsqu'on sonna à la porte et revint avec la pizza. Pendant ce temps, Eric avait servi deux verres de Coca, posés à présent sur la table basse. Le plus jeune ne put se concentrer sur le film tant il stressait au sujet de la conversation qui approchait. Enfin, lorsque le générique de fin commença à défiler, il se tourna vers son aîné et souffla :
- J'ai vu tes cicatrices ce matin...
Le visage d'Eric se ferma soudain. Une lueur de tristesse avait envahi son regard gris-bleu et Gabriel s'en voulut immédiatement d'avoir abordé ce sujet. Il bredouilla :
- Si... si tu... si tu ne veux pas en parler...
Pour toute réponse, Eric remonta la manche de son sweat et lui montra un tatouage qui ornait son avant-bras droit, deux mots gravés dans sa peau à l'encre noire.
- Semper Fi... murmura Gabriel. Tu... tu es un Marine ?
- Je l'étais, répondit son aîné. Je me suis engagé quelques jours après mon départ... Avec mon unité, nous avons été envoyés en Afghanistan. Nous étions chargés d'escorter les convois de vivres et de médicaments à destination de nos troupes et ceux qui rapatriaient nos blessés et nos morts. Un jour, nous sommes tombés dans une embuscade... beaucoup sont morts... dix-sept hommes ont été capturés... j'en faisais partie...
Gabriel écoutait le récit en silence, le cœur battant à tout rompre.
- Je suis resté emprisonné quatorze mois dans un camp montagnard. Quand les nôtres nous ont enfin retrouvés et libérés, nous n'étions plus que six. On nous a rapatriés. Je suis resté quelques semaines à l'hôpital et un peu plus d'un an dans une maison de repos de vétérans. Lorsque j'en suis sorti et que je suis rentré chez moi, à New York, j'ai trouvé la lettre du notaire qui m'informait du décès de Papa. Je suis venu aussitôt.
- C'est horrible... souffla Gabriel, luttant pour retenir ses larmes.
Eric soupira profondément :
- Tu sais, j'ai eu de la chance par rapport à d'autres... beaucoup de ceux qui sont revenus blessés ont perdu un membre, sont dans un fauteuil roulant... ou sont devenus fous... Pour moi, la seule preuve physique de tout ça, ce sont mes cicatrices... J'ai quitté le Corps des Marines et c'est leur bureau de reclassement professionnel qui m'a trouvé ce boulot chez Singer, Wymans et Peterson.
Eric se tut un instant, puis reprit :
- Quand j'étais là-bas, dans leurs geôles, je n'ai pas cessé de penser à toi... Je ne voulais pas mourir sans te revoir...
Gabriel sentait son cœur battre si fort dans sa poitrine qu'il avait l'impression qu'il allait exploser. Une multitude de sentiments passaient en lui en même temps. Il ne savait plus où il en était, il était complètement perdu. Il fut surpris lorsque son aîné souffla :
- Ne pleure pas...
Le jeune homme ne s'était même pas aperçu que les larmes avaient inondé ses joues. Il fixa un instant le visage grave de son frère, puis, repoussant sa colère, son amertume et tous les sentiments négatifs qui étaient apparus en lui depuis le retour d'Eric, il se jeta dans ses bras. Son aîné, d'abord étonné, mit quelques instants à réagir mais finit par le serrer contre lui. Gabriel ne parvenait pas à s'arrêter de sangloter et Eric lui caressait tendrement le dos, l'embrassant dans les cheveux comme lorsqu'ils étaient enfants et qu'il venait de faire un cauchemar.
Ils restèrent un long moment ainsi, même après que Gabriel ait enfin réussi à se calmer. Lorsqu'il se dégagea enfin de l'étreinte de son frère, il souffla :
- Je suis heureux que tu sois revenu...
- Moi aussi, p'tit frère... sourit Eric en lui caressa tendrement la joue. Et je te promets que je ne partirai plus jamais. Allez, il se fait tard, on devrait aller dormir.
Gabriel acquiesça d'un hochement de tête. Ils montèrent au premier. Arrivé devant la porte de sa chambre, le plus jeune se retourna vers son aîné et sourit :
- Bonne nuit, Eric.
- Bonne nuit, Gabriel.

Quelques heures plus tard

Gabriel n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il était perturbé par ce que son frère lui avait raconté. A chaque fois qu'il fermait les yeux, il le voyait se faire torturer par des hommes en noir. Au bout d'un moment, n'y tenant plus, il se releva et alla à la salle de bains se passer un peu d'eau sur le visage. Alors qu'il revenait vers sa chambre, il s'arrêta en entendant des gémissements provenant de celle d'Eric. Inquiet, il poussa doucement la porte restée entrouverte et entra. Son aîné était visiblement en train de se débattre avec un cauchemar violent. Gabriel s'approcha, alluma la lumière puis se pencha pour réveiller Eric, mais celui-ci le repoussa, devant sûrement le prendre pour l'un des « monstres » de son rêve.
- Eric, réveille-toi !
Son frère se redressa en sursaut. Il était en nage, respirait un peu trop rapidement et avait le regard perdu. Gabriel s'assit à côté de lui, puis posa une main sur son bras nu. Inconsciemment, son regard dériva sur le torse de son aîné. Son tee-shirt blanc trempé de sueur laissait voir le contour de ses muscles bien dessinés, mais également les traces d'autres cicatrices impressionnantes.
- Eric, ça va ?
L'aîné se passa une main sur le visage, soupirant.
- Oui oui... ce n'était qu'un cauchemar... Ca faisait longtemps que je n'en avais pas fait...
- C'est de ma faute... souffla Gabriel, le cœur serré.
Devant le regard surpris de son frère, il expliqua :
- Si je ne t'avais pas interrogé, tu n'aurais pas repensé à tous ces mauvais souvenirs...
Eric sourit.
- Ne te culpabilise pas pour ça. Tu n'y es pour rien.
- Je m'en veux de t'avoir reproché de ne pas être venu plus tôt après la mort de Papa.
- Tu ne pouvais pas savoir. Ta réaction était tout à fait normale... compte tenu des circonstances.
Gabriel n'était pas convaincu par les paroles emplies de sagesse de son aîné, mais hocha tout de même la tête.
- Je vais aller prendre une douche, souffla Eric en se levant.
Son cadet ne bougea pas. Il le suivit des yeux alors qu'il ôtait son tee-shirt et le lançait dans un coin de la pièce. Encore une fois, Gabriel fut choqué par les cicatrices qui marquaient de façon indélébile la peau de son frère. Eric quitta la chambre pour la salle de bains. Le plus jeune resta assis sur le lit jusqu'à ce qu'il entende l'eau couler dans la douche. Il se décida alors à retourner dans sa propre chambre. Dans le couloir, il se figea devant la porte de la salle de bains. Sans qu'il sache pourquoi il faisait ça, il ouvrit doucement le battant, sans un bruit, puis passa la tête à l'intérieur. A travers la paroi semi-opaque de la cabine, il pouvait voir la silhouette d'Eric, immobile, la tête penchée sous le jet d'eau chaude. Gabriel sentit soudain une bouffée de désir l'envahir et se hâta de reculer. Il se précipita dans sa chambre, les joues rouges, se morigénant et se traitant de tous les noms pour les pensées malsaines qu'il venait d'avoir à l'égard de son propre frère. Il s'allongea et ferma les yeux. Le sommeil s'empara de lui rapidement et les rêves revinrent... mais cette fois-ci, plus de tortionnaires en noir : seulement Eric et lui... et leurs corps se mêlant dans un ballet ancestral.

Le lendemain

Gabriel était en train de préparer le repas lorsque son frère le rejoignit dans la cuisine.
- Ca sent bon. Tu fais quoi ?
- Spaghettis carbonara. J'ai invité Alexine à déjeuner avec nous. Ca ne te dérange pas, j'espère ?
- Non, répondit Eric en souriant. Vous êtes ensemble depuis longtemps ?
Surpris, Gabriel se retourna vers son aîné :
- On n'est pas ensemble !
- Oh... pourtant, vous êtes très proches... j'ai cru que...
- Je suis gay ! Lança le plus jeune sans réfléchir.
Il se détourna devant l'air abasourdi de son frère. Il se serait giflé pour avoir jeté ça comme ça. Après tout, Eric était un ancien Marine et l'homosexualité était mal vue dans l'armée. Alors que leur relation commençait tout juste à reprendre un tournant amical, voilà qu'il risquait de perdre à nouveau la considération de son grand frère.
- C'est dingue ! Lança celui-ci.
Surpris par sa réaction, Gabriel lui fit face à nouveau et demanda :
- Ca te choque ?
Eric éclata de rire, ce qui vexa son cadet qui ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle dans leur situation.
- Fais pas cette tête, p'tit frère ! Je pourrais difficilement être choqué que tu sois gay... vu que je le suis aussi !
Déconcerté par cette révélation, Gabriel en fit tomber sa cuillère en bois sur le sol. Il se pencha pour la ramasser en grognant. Lorsqu'il se redressa, il sursauta en voyant qu'Eric se tenait à présent tout près de lui. Le cœur affolé, il vit soudain des images de son rêve s'inscrire dans son esprit et dut lutter de toutes ses forces et de toute sa volonté pour repousser le désir qui menaçait de l'envahir. Les joues cramoisies, il alla laver la cuillère, puis reporta son attention sur sa sauce.
- Tu as un copain ? Demanda soudain Eric.
- Non... et toi ?
Comme son frère ne répondait pas, Gabriel se fit violence et s'obligea à le regarder. Un voile triste assombrissait le regard clair de son aîné qui finit par souffler :
- Il y avait quelqu'un... Alan... Il faisait partie de mon unité... Il est mort pendant l'embuscade...
- Je suis désolé...
Gabriel ne put s'empêcher de culpabiliser à nouveau. Il en avait voulu à son frère de son absence, mais il n'avait jamais essayé de savoir ce qu'il était devenu... et, à présent qu'il était au courant, il aurait aimé pouvoir faire quelque chose pour l'aider, mais il ne savait pas quoi. Il posa instinctivement sa main sur l'épaule d'Eric qui se tourna vers lui et sourit légèrement.
- Si on parlait de quelque chose de plus joyeux !
Même si son expression était redevenue plus détendue, Gabriel sentait que son frère allait mal. Et il se promit de tout faire pour lui changer les idées.

Le samedi soir suivant

Gabriel et Alexine sortaient du cinéma en discutant du film qu’ils venaient de voir lorsque le jeune homme aperçut Eric qui se dirigeait vers eux.
- Salut les jeunes !
- Bonsoir, sourit Alex.
- ‘lut ! souffla son ami. Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je viens d’aller boire un pot avec des collègues pour fêter le départ en retraite de l’un d’eux.
- Tu as bu ? demanda Gabriel, inquiet.
- Seulement du coca, sourit l’aîné. Ne t’en fais pas, je ne bois jamais d’alcool, p’tit frère.
- Tu rentres avec nous ? interrogea Alexine.
- Merci, mais j’ai ma voiture là-bas.
- Alors on se verra demain, sourit le cadet. Je raccompagne Alex chez elle avant de rentrer.
- Ok. Bonne nuit !
Gabriel suivit son frère des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse au coin de la rue, puis les deux amis se dirigèrent vers la voiture du jeune homme. Alors qu’elle refermait sa portière, Alexine demanda :
- Qu’est-ce qui se passe ?
- De quoi tu parles ? demanda son ami, surpris.
- De ton attitude envers Eric. Je pensais que ça allait mieux entre vous.
- Tout va bien, je t’assure !
La jeune femme lui adressa un regard en coin, puis lança :
- Alors pourquoi est-ce que tu sembles toujours tendu en sa présence ? Pourquoi tu évites toujours de le toucher ? Et pourquoi tu piques un fard les rares fois où ça arrive ?
Gabriel soupira profondément. Il n’avait pas eu l’intention de parler de ses tourments à sa meilleure amie, mais c’était sans compter dans la perspicacité, et l’obstination, de la jeune femme.
- On peut parler de ça chez toi ?
- Bien sûr.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient installés sur le sofa de l’appartement d’Alexine, un bol de chocolat chaud pour chacun fumant sur la table basse.
- Alors ? Je t’écoute.
Le jeune homme hésitait encore. Il partageait tout avec sa meilleure amie… mais là, c’était quelque chose de personnel… et de choquant… Il avait peur qu’elle ne comprenne pas et qu’elle le rejète après un tel aveu.
- Gabe… Tu sais que quoi qu’il arrive, je serai toujours ton amie. Tu peux tout me dire.
- Je ne suis pas sûr que tu veuilles toujours me parler après…
- Allez, ça ne doit pas être si terrible que ça ! Laisse-moi en juger… s’il te plait !
Il prit une grande inspiration et se lança enfin :
- Ca fait une semaine que je fais des rêves… mettant en scène Eric…
Comme il s’interrompait, Alexine le pressa :
- Et ?
- Ce sont des rêves très… chauds…
- Tu veux dire érotiques ?
- Je dirai plutôt porno, soupira Gabriel, les joues rouges, les yeux fixés sur son bol.
Son amie resta silencieuse un long moment et il n’osait pas la regarder de peur de voir du dégoût dans ses yeux sombres.
- Dis-moi…ce ne sont que des rêves ou il y a plus ?
- Il y a plus… Je n’arrête pas de penser à lui… de l’imaginer dans mes bras…
Il enfouit sa tête entre ses mains, désespéré.
- Je suis un pauvre type… un pervers qui a envie de coucher avec son propre frère…
Il fut presque surpris de sentir un bras d’Alexine entourer ses épaules.
- Tu n’es ni un pervers, ni un pauvre type… souffla t’elle près de son oreille.
- Si jamais il s’en aperçoit, il va repartir… et je ne veux pas le perdre à nouveau… je ne le supporterai pas…
- Tu l’aimes donc tant que ça ?
Abasourdi, Gabriel releva la tête et se tourna vers son amie qui le fixait d’un air grave.
- Tu crois que…
- Tu es amoureux d’Eric.
- C’est encore pire ! Ca ne serait que physique, je pourrais encore gérer mais là… Non, je ne peux pas être amoureux de lui !
- Pourtant, tout ce que tu me dis, ça décrit parfaitement quelqu’un d’amoureux.
- Mais c’est mon frère !
- Je sais…
Les yeux clos, Gabriel se laissa tomber contre le dossier du sofa, anéanti. Il venait de réaliser que son amie avait raison : il aimait son frère aîné d’un amour qui n’avait plus rien de fraternel.
- Qu’est-ce que je vais faire ?
- Tu lui en as parlé ?
A ces mots, il rouvrit les yeux et darda un regard effaré sur son amie :
- T’es folle !
- Tu devrais le faire.
- Tu veux ma mort ? Si je le lui dis, il va me tuer ! Et s’il ne me tue pas, il va repartir pour de bon, cette fois-ci ! Ce qui reviendra au même…
Il se leva d’un bond, puis lança :
- Je n’aurais jamais du t’en parler ! Je vais rentrer et essayer d’oublier tout ça !
- Gabe !
- Promets-moi que tu n’en parleras jamais à Eric ! Promets-le moi !
- Je te jure que je ne lui dirai rien mais…
- On se voit lundi. Bye !
Avant que son amie ait eu le temps de le rattraper, il avait quitté l’appartement. Alors qu’il montait en voiture, il s’aperçut que ses mains tremblaient violemment. Les larmes se mirent soudain à inonder ses joues. Il dut attendre un long moment avant d’être en état de conduire. Une fois chez lui, il monta directement dans sa chambre et s’y enferma, bouleversé. Il se déshabilla, ne gardant que son boxer et s’allongea sur son lit, mais savait qu’il ne parviendrait pas à trouver le sommeil. Tourmenté par ses sentiments, il finit tout de même par s’endormir peu avant l’aube.

A suivre...


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