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Le lendemain matin, Guy était en train d’aider à consolider le mur d’enceinte à l’est du château lorsqu’il vit Robin s’approcher à cheval. Le shérif s’arrêta à côté de son ami et descendit de sa monture.
— Je dois partir régler une affaire au nord du comté. Je serai absent deux ou trois jours.
Déçu à l’idée de le voir partir, Guy réussit toutefois à le dissimuler habilement.
— Merci de m’avoir prévenu.
— Nous reprendrons notre discussion dès mon retour.
— Je serai là, sourit le brun en repoussant une mèche qui lui tombait sur les yeux.
Ils échangèrent un long regard empli de non-dits, puis Robin remonta à cheval. L’autre homme le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue. Son remettant au travail, il eut tout le loisir de se plonger dans ses pensées. Son esprit vola jusqu’à Robin. Il se remémora leur toute première rencontre, lorsqu’ils étaient enfants, puis les évènements qui les avaient poussés sur des voies contraires. Même s’il était certain de ses sentiments pour l’autre homme, il avait du mal à comprendre comment ils avaient réussi à passer d’une haine mortelle à un amour profond. Tout les avait toujours opposés… et pourtant ils partageaient à présent un lien indéfectible.

***

Au soir du troisième jour, les travaux s’achevèrent. Tuck, que Robin avait chargé de gérer le château en son absence, renvoya les hommes réquisitionnés à leur vie courante. Guy, lui, se retrouva totalement désœuvré. Le premier soir, il ne s’en soucia pas car la fatigue le poussa à se coucher aussitôt souper. Cependant, dès le lendemain matin, il commença à s’ennuyer. Homme d’action, il n’avait jamais supporté de rester désœuvré.
L’inaction lui pesait tellement qu’il se rendit dans le bureau de Robin où il était à peu près sûr de trouver Frère Tuck. Celui-ci était plongé dans la lecture d’un parchemin et sembla surpris de le voir.
— Que puis-je pour vous ?
— Auriez-vous une tâche à me confier ?
Le prêtre réfléchit un long moment.
— Je suis désolé, mais je ne vois pas quoi vous proposer. Je pensais que Robin serait rentré avant que les travaux ne soient achevés et qu’il aurait prévu quelque chose pour vous.
Guy avait bien une idée à lui soumettre, cependant, compte tenu de sa situation, il était persuadé que sa proposition serait refusée. Il tenta tout de même sa chance :
— Enfant, j’ai appris à travailler le bois auprès d’un menuisier. Si vous me laissiez accès à un atelier, je pourrais me rendre utile.
— Vous donner cet accès équivaudrait à vous autoriser à quitter l’enceinte du château… et je n’ai pas ce pouvoir. Seul Robin peut vous l’accorder.
— Je le sais… mais l’inaction me pèse… Ne pourriez-vous me fournir du matériel afin que je travaille ici ? Je suis capable de fabriquer aussi bien des meubles que des flèches.
Tuck sourit :
— Je vais y réfléchir.
— Merci.
Guy quitta le bureau et se dirigea vers la cour. Deux gardes s’entraînaient. Il s’arrêta pour les regarder jouter, analysant leurs mouvements et, surtout, leurs défauts respectifs. Il sourit en voyant l’un des deux se faire désarmer par une feinte simple de son adversaire. Le combat à l’épée lui manquait. Il aurait aimé se joindre à eux mais était conscient que ce geste serait très mal vu. Même s’il n’était pas prisonnier et si certains acceptaient sa présence, il restait un ennemi dans l’esprit de beaucoup. Après toutes les horreurs qu’il avait commises, après toutes les morts qu’il avait sur la conscience, il ne pouvait pas leur en vouloir. Sans Robin, il serait déjà en enfer, exécuté par le Roi Richard.

Guy fut tiré de ses pensées par Tuck qui venait de le rejoindre.
— Nous avons besoin de mobilier pour renouveler celui détruit pendant la bataille. Je peux vous faire installer un atelier dans l’une des salles vides du château.
— Cela serait parfait, sourit Gisborne. Merci.
— Suivez-moi, je vais vous montrer une pièce qui devrait vous convenir.
Tuck le conduisit dans l’aile ouest, à quelques mètres de l’escalier menant à ses appartements. La salle, pour l’instant vide, était spacieuse et munie de deux grandes fenêtres qui laissaient entrer le soleil à flot.
— Je suis allé voir Peter Wallace, le menuisier de Nottingham. Il va vous amener du matériel dès cet après-midi et vous donnera des instructions concernant le mobilier à façonner.
— Je vous remercie.
— Ne vous y trompez pas. Même si je suis heureux de constater que Robin ne semble pas s’être fourvoyé vous concernant, je fais cela pour lui et non pour vous.
— J’en suis conscient.
Tuck hocha la tête et quitta la pièce. Guy contempla les lieux en souriant. Il commençait enfin à se sentir à sa place au château.

Gisborne passa l'après-midi à installer son atelier, prenant son temps pour se concevoir un endroit bien à lui où il pourrait travailler à son aise. Lorsqu'il eut fini, le soir était tombé. Il alla se laver, puis se rendit aux cuisines pour dîner. Depuis que Robin était parti, il préférai manger seul, n'ayant aucune envie de supporter la compagnie des gardes ou de toute autre personne qui le méprisait. Après toutes les horreurs qu'il avait commises, il ne voulait pas en plus imposer sa présence à ceux qui ne voyaient toujours en lui qu'un assassin sans cœur. Tout au fond de lui, il était conscient que, quelles que soient ses actions futures, il ne serait jamais capable de racheter le mal qu'il avait fait.
Lorsqu'il eut fini de dîner, il reprit le chemin de sa chambre. Il installa une chaise près de la fenêtre et se mit à tailler un morceau de bois à la lueur de la pleine lune. Peu à peu, une silhouette chevaline commença à se deviner dans les contours encore grossiers de la sculpture. Perdant la notion du temps, Guy s'obligea à arrêter son ouvrage lorsque ses yeux commencèrent à se fermer d'eux-mêmes. Il posa ses outils, puis alla se coucher en songeant au retour prochain de Robin.

***

Trois jours de plus passèrent avant que Guy, inquiet, ne décide d'aller voir Tuck pour lui demander s'il avait eu des nouvelles de leur ami. Cela faisait maintenant plus d'une semaine que Robin était parti alors qu'il ne devait s'absenter que deux ou trois jours. Vêtu de sa tenue de cuir, il était bien décidé à emprunter un cheval et à quitter le château pour aller rejoindre son ami si le prêtre n'avait pas de réponse à lui apporter. Guy trouva Tuck dans la cour, les yeux fixés sur le ciel à l'horizon.
— Frère Tuck, avez-vous eu des nouvelles de Robin ?
Sans le regarder, le prêtre répondit :
— Il s'est arrêté à Locksley sur le chemin du retour et a décidé d'y passer quelques jours pour régler l'intendance de son domaine. Il devrait revenir bientôt... j’espère que ça sera avant que ce qui arrive au loin ne nous atteigne...
Ne comprenant pas à quoi l'autre homme faisait allusion, Guy se tourna dans la même direction que lui, mais ne vit rien.
— De quoi parlez-vous ?
— Le vent forcit depuis cette nuit. Et les animaux se terrent ou fuient vers le sud. Quelque chose approche...
— Un orage ?
— Possible... mais je crains quelque chose de plus violent... Une tempête... Il faut prévenir les villages alentours pour que la population se mette à l’abri ici ou dans les grottes les plus proches.
À peine Tuck eut-il fini sa phrase que Guy réalisa le trajet qu'allait suivre la perturbation à venir. Et il réagit en fonçant vers les écuries, ignorant les appels du prêtre derrière lui. Alors qu'il sellait un cheval, Tuck le prit par le bras pour l'arrêter :
— Que faites-vous ?
— Locksley va être l’un des premiers villages touchés. Je dois aller prévenir Robin.
— Vous n'avez pas le droit de quitter le château !
— Essayez donc de m'en empêcher ! Rugit Guy en se dégageant et en sautant sur sa monture.
Sans attendre la réponse du prêtre, il éperonna l'animal qui partit au galop, laissant très vite Nottingham derrière lui.

La forêt était étrangement silencieuse de tout cri animal et de tout chant d’oiseau. Guy la traversa rapidement, le cœur étreint par un très mauvais pressentiment. Lorsqu’il déboucha des bois, son regard se tourna instinctivement vers le nord-ouest, direction d’où devait provenir la tempête. Le ciel s’était déjà nettement assombri, preuve que Tuck ne s’était pas trompé. Il relança sa monture au galop et atteignit rapidement Locksley. Arrêtant son cheval, il en descendait juste lorsque Robin le rejoignit, visiblement furieux :
— Que fais-tu ici ? Tu ne dois pas…
— Une tempête approche ! l’interrompit Guy. Je suis venu te prévenir. Il faut évacuer le village immédiatement !
Robin se tourna dans la direction que son ami lui désignait et fronça les sourcils, l’air soudainement soucieux.
— Nous n’aurons pas le temps d’atteindre Nottingham. Il faut nous réfugier dans les grottes. Jean vient juste de repartir vers son village, va le rejoindre et préviens-le. Pendant ce temps, j’organise l’évacuation ici.
— J’y vais !
Guy remonta en selle et fonça à la suite de l’autre homme. Moins de dix minutes plus tard, il rattrapa Jean à qui il expliqua la situation, puis il reprit la route de Locksley. Lorsqu'il y arriva, les villageois étaient en train de rassembler rapidement le minimum vital : de la nourriture, de l'eau, du bois pour le feu et des couvertures. Robin les dirigeait avec efficacité, aidé par la mère de Kate qui jeta un regard mauvais à Guy quand il passa près d'elle. L’ignorant, il rejoignit son ami qui réquisitionna immédiatement son cheval pour le transport des vivres. Les enfants, les personnes âgées et une partie des femmes étaient déjà en route pour les grottes. Ceux qui restaient s’activaient, fébriles et inquiets. Le vent s’était levé et des bourrasques de plus en plus violentes soulevaient la poussière.
— Que puis-je faire ? demanda Guy, criant presque pour parvenir à se faire entendre malgré le sifflement du blizzard.
Robin désigna un groupe de personnes et de chevaux qui attendaient près d’eux.
— Accompagne-les aux grottes.
— Et toi ?
— Je m’occupe de ceux qui restent. Je vous rejoins.
Ils échangèrent un long regard silencieux. Guy était inquiet, mais obéit aux ordres de son ami. Il rejoignit le groupe de villageois et leur transmit les paroles de Robin. Certains d’entre eux le regardaient avec aménité, mais l’approche de la tempête les fit renoncer à s’en prendre à lui. Ils partirent donc rapidement à travers bois afin de rejoindre les cavernes où ils seraient en sécurité pendant la tempête.

Au fur et à mesure qu’ils approchaient des grottes et s’éloignaient de Locksley, Guy sentit son angoisse grimper. La traversée de la forêt fut périlleuse car des branches volaient et manquèrent plusieurs fois de toucher l’un des villageois. Gisborne lui-même évita de justesse de se faire assommer. Finalement, après presque une demi-heure de trajet, ils parvinrent enfin à l’abri. Laissant les villageois s’installer, Guy revint vers l’entrée des grottes, guettant l’arrivée de Robin. Il lui sembla s’être passé une éternité lorsqu’il aperçut enfin le dernier groupe d’hommes de Locksley approcher. Ils entrèrent rapidement dans l’abri, mais le nouveau shérif n’était pas avec eux. Guy attrapa le bras du dernier venu pour l’interroger :
— Où est Robin ?
— Je ne sais pas… je pensais qu’il était juste derrière moi…
Fou d’angoisse, Guy ne réfléchit pas. Il quitta l’abri des grottes, fonçant en direction de Locksley. La tempête était à présent totalement levée. Le vent furieux tourbillonnait, les feuilles volaient en tous sens, rendant sa progression difficile. Il n'avait pas parcouru trente mètres qu'il vit un groupe approcher face à lui. Un soulagement intense l'envahit lorsqu'il reconnut Robin au milieu d'une famille de villageois. Serrant dans ses bras une petite fille d'environ cinq ans, l'ancien hors-la-loi luttait difficilement contre les rafales. Guy vit soudain avec horreur une énorme branche être arrachée d'un chêne et se diriger droit sur Robin et la fillette. La suite se déroula très rapidement : Gisborne se précipita pour pousser son ami hors de la trajectoire du rondin, mais ne parvint pas à l'éviter lui-même. Le morceau de bois le frappa à la tempe et il s'effondra, plongeant instantanément dans l'inconscience.

***

Guy avait l'impression que sa tête allait exploser. Il ouvrit les yeux et tenta de s'asseoir, mais la main de Robin posée à plat sur son torse l'en empêcha.
— Ne bouge pas. Tu as pris un mauvais coup. Ça ne saigne plus, mais tu devrais te reposer un peu.
— Je suis resté inconscient longtemps ?
— Juste le temps qu'on te ramène à l'abri et que je nettoie ta blessure.
Guy jeta un coup d’œil autour de lui et fut surpris de constater qu'ils se trouvaient seuls dans une petite caverne, à l'écart des villageois. Robin expliqua :
— Ils ont encore du mal à se faire à ta présence... et puis j'ai pensé que tu aurais besoin de calme.
— Tu as eu raison... j'ai l'impression que toutes les trompes de chasse du roi résonnent dans ma tête...
Robin prit un linge humide et le lui posa sur le front.
— Je n'ai pas de remède pour soulager ta douleur.
— Ne t'en fais pas pour moi, souffla Guy en se forçant à sourire. Tu as réussi à amener tout le monde en sécurité ?
— Oui, enfin tous ceux qui étaient là lors de l'évacuation. Ceux qui étaient en forêt ou sur la route... j'espère qu'ils auront pu se mettre à l'abri. Et j'espère que les autres villages auront réussi à évacuer à temps...
Devant l'air soucieux de son ami, Gisborne lança :
— Tu devrais te reposer toi aussi.
— Je verrai ça plus tard... pour l'instant, le peuple compte sur moi.
— Le peuple compte un petit peu trop sur toi, Robin. Un jour, tu y laisseras ta santé... ou ta vie...
— J'en suis conscient mais...
Même s'il ne continua pas sa phrase, Guy savait ce que son ami pensait. Il retint à grand peine un soupir : Robin ne serait jamais capable d'abandonner ceux qu'il avait toujours protégés. Il referma les yeux, espérant parvenir à calmer sa migraine. Quelques instants plus tard, il sentit la main fraîche de son ami caresser doucement sa joue et ses cheveux. La douleur refluant lentement, Guy finit par s'endormir.

***

Deux heures plus tard, la tempête avait changé de visage. À présent, le tonnerre grondait alors que des éclairs déchiraient violemment le ciel sans qu'une seule goutte de pluie ne tombe. Il faisait aussi sombre qu'en pleine nuit alors qu'il était à peine midi. Les villageois, inquiets pour leurs habitations et les animaux qu'ils n'avaient pas pu emmener avec eux, envoyèrent un groupe d'hommes pour évaluer les dégâts causés par le vent. Robin tenta de les convaincre qu'il valait mieux attendre la fin de l'orage, mais ils ne l'écoutèrent pas. Aussi, il décida de se joindre à eux. Guy, dont la douleur avait reflué, les accompagna, malgré les protestations de son ami qui aurait voulu qu'il reste à l'abri se reposer. Après que le brun eut adressé un regard noir à son ancien ennemi, celui-ci avait rendu les armes.

Locksley était en piteux état lorsqu'ils y arrivèrent. La plupart des maisons avaient perdu leurs toits de chaume. Les animaux des fermes s'étaient enfuis. Certains avaient été tués par des chutes d'arbres ou de pierres provenant des plus hautes bâtisses. Les grondements du tonnerre faisaient vibrer le sol et tous sursautèrent lorsque la foudre frappa un chêne à une centaine de mètres d'où le groupe se tenait.
— Il faut retourner dans les grottes ! Lança Robin. Nous ne pouvons rien faire tant que l'orage n'est pas passé !
Les villageois se rangèrent cette fois-ci à son avis et reprirent le chemin en sens inverse. Alors qu'ils passaient à proximité de l'église, Guy vit soudain son ami changer de direction pour entrer dans le bâtiment.
— Robin ! Où vas-tu ?
— J'ai entendu du bruit à l'intérieur !
— C'est sûrement un animal. Viens !
Le plus jeune n'écouta pas son aîné et pénétra dans la bâtisse. Guy le suivit en rageant. Alors qu'il s'attendait à voir l'endroit désert, les deux hommes se retrouvèrent nez-à-nez avec une femme et cinq enfants qui s'étaient réfugiés tout au fond de l'église, contre l'autel. Au moment où ils allaient rejoindre la famille terrorisée, un fracas assourdissant se fit entendre et le sol trembla violemment. Un souffle puissant les fit rouler à terre alors que le toit en bois prenait feu, frappé par la foudre. La charpente s'enflamma rapidement. Robin et Guy se relevèrent, puis attrapèrent les mains des enfants pour les faire sortir avant que le plafond ne s'effondre sur eux. La maman, pétrifiée par la peur, ne bougeait pas, serrant son nourrisson contre elle. Guy poussa les enfants dont il tenait les mains vers l'extérieur et fit immédiatement volte-face pour aller chercher leur mère et le bébé. Il s'agenouilla devant la femme qui le fixait, tétanisée.
— Il faut sortir !
— Je ne peux pas ! Si je reste ici, Dieu me protègera !
— Si vous restez, vous mourrez et votre enfant aussi ! Et les autres seront orphelins. C'est ce que vous voulez ?
Comme elle ne réagissait pas et que le temps pressait, Guy décida d'utiliser les grands moyens. Il lui arracha son bébé des bras, puis partit en courant vers la sortie. Comme il s'en doutait, la femme le poursuivit en hurlant :
— Rends-le moi ! Rends-moi mon fils !
Il quitta le bâtiment qui risquait de s'effondrer d'un instant à l'autre. Les autres villageois étaient revenus sur leurs pas et se tenaient à l'abri à une centaine de mètres avec Robin et les enfants. Guy se précipita vers eux, la femme hurlant toujours après lui :
— Rends-moi mon bébé ! Aidez-moi, il m'a volé mon bébé !
L'un des hommes vint en courant à leur rencontre, l'air furieux. Il obligea Guy à s'arrêter et l'apostropha :
— Espèce d'ordure ! Tu vas lui rendre son enfant immédiatement !
Avant que Gisborne ait eu le temps de s'expliquer la femme se jeta sur lui pour lui reprendre son dernier né. Le villageois s'apprêtait à frapper Guy lorsqu'ils furent rejoints par Robin qui arrêta l'homme au dernier moment.
— Wilhem, non !
— Il lui a pris son bébé !
Guy se sentait mal. La douleur dans son crâne était revenue, plus puissante. Il était au bord de la nausée et bredouilla :
— Elle ne venait pas... il fallait que... le seul moyen...
Il sentit ses jambes le lâcher et, sans la présence de Robin qui le soutint, il se serait écroulé au sol. Le nouveau shérif lança d'un ton sec :
— Tu ne comprends pas qu'il les a sauvés ! Anna n'est sortie que parce qu'il lui a enlevé son enfant ! Tu le traite comme un monstre alors que tu devrais le considérer comme un héros et le remercier !
Sans plus s'occuper des autres, Robin aida Guy à s'asseoir à l'abri contre un mur qui avait résisté à la tempête. À peine fut-il sur le sol que le brun perdit à nouveau connaissance, terrassé par la douleur.

***

Cette fois-ci, lorsque Guy s'éveilla, il n'avait presque plus mal. Et il était confortablement allongé sur un lit. Il ouvrit lentement les paupières, puis soupira de soulagement en constatant qu'il se trouvait dans sa chambre. Robin était assis dans un fauteuil près de lui, profondément endormi. Guy s’assit, adossé à un oreiller. Il profita de l'occasion pour contempler le visage paisible de son ami, couvert d'une légère barbe. Le nouveau shérif avait rarement l'air aussi détendu et serein. Au bout de quelques minutes, il bougea un peu et s'éveilla à son tour. Il se frotta les yeux, puis réalisa qu'il était observé et sourit :
— Comment te sens-tu ?
— Mieux. L'orage est fini ?
— Depuis trois jours. Tu as eu une poussée de fièvre, on a cru te perdre mais Tuck t'a sauvé.
Un voile de tristesse passa sur le regard de Robin. Inquiet, Guy demanda :
— Il y a eu des victimes ?
— Quelques unes... des gens qui n'ont pas réussi à se mettre à l'abri à temps...
— Tu n'y pouvais rien, Robin.
— Je le sais, sourit le plus jeune.
— Alors qu'est-ce qui te trouble autant ?
L'ancien hors-la-loi baissa les yeux sur ses mains jointes avant de répondre :
— Quand j'ai cru te perdre... j'ai réalisé à quel point je tiens à toi...
Il releva la tête, plongeant son regard noisette dans les yeux azur de Guy :
— Promets-moi de ne jamais me refaire une telle frayeur.
— Tu sais très bien que c'est le genre de promesse impossible à tenir.
— Alors, promets-moi au moins que tu feras tout ton possible pour éviter le danger à l'avenir...
— Celle-ci, je peux te la faire.
Robin sourit. Il se pencha et scella leur accord par un léger baiser posé sur les lèvres de l'autre homme. Lorsqu'il se redressa, il souffla :
— J'ai rétabli la vérité sur ce qui s’est passé avec Anna et son bébé. Tous savent maintenant que tu les as sauvés.
— Tu n'avais pas à le faire.
— Tu es un héros, Guy. Je ne pouvais pas les laisser penser le contraire.
— Cela ne suffira pas à me faire bien voir d'eux. Pas après tout ce que je leur ai fait subir par le passé.
— Peut-être... mais ce n'est que la première pierre de l'édifice... et si tu continues dans cette voie, peut-être que je finirai par pouvoir te céder la place de shérif et que je pourrai simplement redevenir celui que je n'aurais jamais dû cesser d'être.
— Robin des Bois ?
— Il est mort lorsque je suis devenu shérif. Aujourd’hui, je ne sais plus qui je suis…
— Tu es Robin, l’homme qui m’a rendu meilleur… celui qui m’a conduit dans le droit chemin… et que j’aime…
Le plus jeune parut ému par sa déclaration. Il passa une main dans sa nuque, l’air las.
— Je suis si fatigué… Je n’en peux plus de ces combats, d’être celui sur qui tout le monde compte… Je rêve de m’enfuir loin d’ici, jusqu’en Terre Sainte peut-être, et de commencer une nouvelle vie où personne ne me connaîtrait… où personne ne compterait sur moi… Je rêve de pouvoir enfin me reposer sur quelqu’un…
Guy se redressa et prit la main de Robin dans la sienne.
— Je suis là. Je ne suis peut-être pas la première personne à qui tu penserais pour te soutenir, mais…
— Détrompes-toi. Tu es le seul…
Il se tut un moment, puis demanda d’une voix peu assurée :
— Si je te proposais de tout quitter pour partir avec moi, tu le ferais ?
— Je ne reste ici que pour être près de toi… alors oui, je partirais sans hésiter !
Robin sourit et se pencha pour l’embrasser à nouveau. Cette fois-ci, Guy ne le laissa pas s’éloigner. Il l’attira dans ses bras, approfondissant le baiser. Le désir les envahit, mais le plus jeune résista. Lorsque son compagnon le laissa respirer, il souffla :
— Pas ici… je ne veux pas connaître ce bonheur-là avec toi dans ce château qui me rappelle tant de mauvais souvenirs.
Un peu frustré, mais comprenant très bien les réticences de son ami, Guy hocha la tête. Robin quitta ses bras afin de résister plus facilement à la tentation.
— As-tu faim ?
— Un peu.
— Je vais aller prévenir Tuck de ton réveil et te faire préparer un bon repas.
Guy attendit que son ami ait quitté la pièce pour se rallonger et refermer les yeux, pensif. L'idée de quitter Nottingham était très tentante, mais il était conscient que Robin ne pourrait jamais partir comme ça, sur un coup de tête, même s'il en mourrait d'envie. Peut-être un jour... plus tard...

***

Les jours passèrent. Guy se rétablit rapidement et proposa à Robin d'aider à la reconstruction des villages dévastés par la tempête. Son ami accepta avec enthousiasme, deux bras solides n'étant pas de trop vu tout le travail à accomplir, et l’envoya à Locksley. Alors qu'il déblayait les décombres d'une maison détruite afin d'en construire une nouvelle à sa place, Guy entendit une voix féminine s'élever derrière lui. Il se retourna et se trouva face à Anna, son bébé endormi dans ses bras et le reste de sa descendance autour d'elle. Elle hésita un instant, puis souffla :
— Je tenais à vous remercier de nous avoir sauvés, mes enfants et moi.
— Je vous en prie, répondit Guy, ému.
— Et je voulais aussi m'excuser de ma conduite ce jour-là... je n'aurais pas dû...
— Vous aviez peur, votre réaction était naturelle.
Elle lui sourit et hocha la tête.
— Merci encore, Messire.
Et elle partit rapidement, emmenant sa progéniture vers l'autre bout du village. Guy la suivit des yeux et se remit ensuite à l'ouvrage, le cœur léger.

Le soir même, lors du dîner, Robin souffla :
— J'ai appris qu'Anna était venue te remercier.
— C'est vrai.
— Tu vois que tes bonnes actions sont reconnues, sourit le shérif.
— Grâce à toi.
— Non. C'est toi qui l'a sauvée avec son bébé. Et c'est toi qui en a récolté le mérite, c'est tout à fait normal.
Gêné, Guy lança :
— Et si nous changions de sujet ?
— Justement, j'ai une proposition à te faire.
— Laquelle ?
— Comme tu le sais, certains villageois ont perdu la plupart de leurs biens... Même si on leur reconstruit des maisons, ils n'ont plus de meubles. Et Wallace a du mal à assurer toutes les commandes donc..
— Je serais ravi de fabriquer tout ce dont ils auront besoin. Tu n'as qu'à me fournir la liste de ce qu'il faut construire et les matériaux. Je me mettrai au travail dès demain.
— Merci.
Ils échangèrent un sourire complice et finirent leur repas. Lorsqu'il se levèrent de table, Guy demanda :
— Tu as un moment à m'accorder ? J'ai quelque chose à te donner.
— Je te suis.
Le brun conduisit son ami dans son atelier et alla chercher le cadeau qu'il avait passé ses soirées à fabriquer pendant l'absence de Robin, avant la tempête. Au moment où il le lui remit, le visage du plus jeune s'éclaira :
— C'est toi qui l'a sculpté ?
Guy hocha la tête, flatté par l'expression admirative de son ami. La figurine représentait un archer à cheval dont la silhouette était facilement reconnaissable.
— C'est magnifique, souffla Robin. Merci.
Il appuya son propos en embrassant tendrement son compagnon. Les deux hommes restèrent enlacés un long moment, profitant de ce rare moment de calme. Guy sentit peu à peu la tension se relâcher du corps de son ami.
— Tu devrais aller dormir, tu sembles épuisé.
— Je suis bien là… Tu es très confortable.
— Si tu veux rester dans mes bras toute la nuit, nous serions mieux dans un lit, tu ne crois pas ?
Robin ne répondit pas. Il se contenta d’entrelacer ses doigts avec ceux de son ami, puis il l’entraîna hors de la pièce en direction de sa chambre. Là, Robin verrouilla la porte avant d’attirer Guy vers le lit. Les deux hommes ôtèrent leurs bottes puis s’allongèrent l’un contre l’autre. Robin se blottit dans les bras de son compagnon, le visage enfoui dans son cou. Ainsi installés, ils ne tardèrent pas à plonger dans un profond sommeil.

***

Après cette première nuit, les deux hommes prirent l’habitude de dormir ensemble presque chaque soir. Ils n’échangeaient que quelques baisers et caresses, mais Guy se trouvait de plus en plus frustré par la situation. Tenir le corps si tentant de Robin entre ses bras le perturbait et il avait du mal à retenir ses envies. Cependant, il ne voulait pas brusquer son compagnon. Il parvint donc à se contenir tout en espérant que l’autre homme finirait par changer d’avis et accepte qu’ils échangent leur première étreinte charnelle dans l’enceinte du château.

Depuis quelques jours, le soleil brillait sur Nottingham et la température montait un peu plus chaque après-midi. Dans son atelier, Guy s’affairait sur une table pour une famille de Locksley. La chaleur lui avait fait ôter sa chemise. Les gouttes de sueur roulaient sur son torse alors qu’il rabotait et ponçait habilement. Il vit du coin de l’œil la porte s’ouvrir et Robin entrer, mais continua son ouvrage. Au bout d’un moment, comme son ami restait silencieux, Guy s’arrêta et se tourna vers lui. Il fut surpris de plonger dans un regard assombri de désir. Robin fit quelque pas dans sa direction, les joues légèrement rouges. Il souffla :
— Je peux essayer ?
Guy hocha la tête et lui laissa sa place. Voyant que son compagnon s’y prenait mal, il se plaça derrière lui et posa ses mains sur les siennes. La chemise du jeune shérif était trempée de sueur, son souffle était court. Au bout de quelques minutes, il laissa tomber le rabot, puis se tourna entre les bras de Guy pour capturer ses lèvres avec fougue. À bout de souffle, le brun repoussa son ami le temps d’aller verrouiller la porte, puis il revint afin de reprendre où ils s’étaient interrompus et enfin laisser libre court au désir qui lui mordait les reins depuis si longtemps.

Près d’une heure plus tard, étendus sur une paillasse dans un coin de l’atelier, leurs corps se reposaient après avoir enfin assouvi l’envie puissante qui les tourmentait. Blotti dans les bras de son amant, Robin somnolait, ses doigts traçant des arabesques compliquées sur le torse de Guy. Un peu inquiet de son mutisme, le brun demanda :
— Regrettes-tu ?
— Aucunement, répondit son compagnon en se redressant pour le regarder dans les yeux. Je suis heureux d’avoir partagé ce moment avec toi. Et j’espère que nous pourrons en partager encore beaucoup…
— Moi aussi.
Robin se réinstalla confortablement. Malgré la chaleur, aucun d’eux n’avait envie de rompre leur étreinte. Le plus jeune s’endormit peu après. Guy resta éveillé, savourant cet instant de bonheur. Il ne savait pas de quoi leur avenir serait fait mais espérait que Robin en ferait toujours partie.

Fin.


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Skin réalisé par Cybelia.

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