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Debout devant le miroir de sa chambre, Ianto était perdu dans ses souvenirs. Il pensait à tous ceux qu’il avait aimés, perdus et qui lui manquaient : ses parents, Lisa, Toshiko et même Owen (oui, curieusement, en ce jour particulier, le cynique et parfois cruel Docteur Owen Harper lui manquait). Il lissa sa veste du plat de la main, puis détailla sa tenue à la recherche de la moindre imperfection. Son costume noir, confectionné spécialement pour l’occasion par l’un des meilleurs tailleurs londoniens, tombait parfaitement. Il portait la chemise bordeaux que Jack aimait tant et une cravate gris foncé, légèrement bleutée comme un ciel d'orage, qui mettait en valeur son regard clair. Satisfait du reflet que lui renvoyait son miroir, il sourit. Son cœur se mit à battre la chamade à la perspective de l’événement à venir. Il ferma les yeux un instant, priant tous les dieux connus et imaginables que la Faille s'accorde un jour de congé, voire plusieurs, pour ne pas gâcher cette journée qu’il attendait depuis si longtemps. Une vague de tendresse le submergea lorsqu’il se remémora la soirée qui, quelques semaines plus tôt, avait fait basculer sa vie.

***


Ianto finissait de classer les derniers rapports d’activité de la Faille dans le bureau de Jack lorsque Gwen passa la tête par l’entrebâillement de la porte.
— Je rentre, Rhys m’attend. Bonne nuit, Ianto !
— Bonne nuit, Gwen. À demain !
Il rangea le dossier dans le tiroir, le referma et alla s'asseoir sur le canapé. Il ferma les yeux un instant, savourant le calme des lieux. Jack était parti quelques heures plus tôt pour régler une mystérieuse affaire et le gallois se demandait de quoi il s’agissait. Quand il avait tenté d’interroger son amant, celui-ci s’était contenté de l’embrasser fougueusement avant de quitter le Hub sans répondre.
Toujours aussi consciencieux, Ianto se demanda si Jack n’était pas parti recruter de nouveaux membres pour Torchwood. Après tout, depuis la mort de Tosh et Owen, ils avaient des difficultés à s’en sortir en effectif réduit. Même si Rhys leur donnait parfois un coup de main pour tenir l’office de tourisme, ce n’était pas suffisant. Tôt ou tard, ils allaient devoir recruter. Et ils ne pouvaient décemment pas mettre une annonce à la Bourse pour l’Emploi de Cardiff. C’était la raison pour laquelle il supposait que l’absence de Jack était liée à un futur nouveau membre de l’équipe.

Au bout d’un long moment, voyant l’heure avancée, Ianto soupira profondément et s’apprêta à partir. S'il devait passer la nuit seul, il préférait le faire chez lui plutôt qu'au Hub. Il vérifia les alarmes et les sécurités, verrouilla les lieux et sortit dans l’air frais de ce début mai. Il faisait déjà nuit et l’endroit était désert. Ianto contempla l’eau sombre de la baie avant de prendre le chemin de son appartement. Il vivait dans un deux pièces au 3e et dernier étage d’un petit immeuble, à moins d’un kilomètre de là, et faisait chaque jour le trajet à pied jusqu'à la Roald Dahl Plass.
Il ouvrit la porte de son appartement, tellement plongé dans ses pensées qu’il mit quelques secondes à réaliser que de la lumière provenait de son salon. Une seule personne ayant les clés à part lui, il sourit largement avant d’entrer dans la pièce. Là, il se figea, éberlué. Deux couverts avaient été dressés sur sa table garnie d’une nappe rouge. Des bougies blanches étaient disposées un peu partout dans la pièce et une odeur alléchante vint chatouiller ses narines en provenance de la cuisine. Alors qu’il allait s'y diriger, il sentit deux bras puissants l’entourer et un torse se coller contre son dos. Il frissonna de désir lorsqu’une voix chaude et familière souffla à son oreille :
— Tu arrives juste à temps…
— À temps pour quoi ?
— Le dîner est prêt. Va t’installer, je reviens…
Le temps qu’il réagisse, Jack avait disparu dans la cuisine. Le gallois alla prendre place sur l’une des chaises. Il était perplexe : Jack n’était pas vraiment du genre romantique, ni à préparer un dîner aux chandelles… Même s’il savait qu’il comptait aux yeux du capitaine, Ianto était conscient qu’il n’était qu’un papillon éphémère dans sa longue vie amoureuse et que leur avenir était des plus incertains. Avant qu’il ait pu s'interroger plus, Jack revint, un plat dans les mains. Il fit le service, puis s'assit en face du jeune homme.
— Ai-je oublié la date de mon anniversaire ? souffla Ianto en souriant.
— Nullement. Mais nous en parlerons après. Tu devrais manger tant que c'est chaud.
Le gallois se mit à déguster son repas, toujours aussi perplexe. Lorsqu'ils eurent fini, Jack l’invita à s’installer avec lui sur le sofa. Comme son amant ne semblait pas vouloir s’expliquer, Ianto se lança :
— Vas-tu enfin me donner la raison de tout ceci ?
— Aujourd’hui, j’ai pris une grande décision… et ce qu’elle implique mérite que je me donne du mal…
La réponse de son compagnon ne satisfaisait pas le gallois qui n’y comprenait absolument rien. Il ouvrit la bouche pour l’interroger, mais Jack ne lui en laissa pas le temps, se penchant pour l’embrasser tendrement. Au moment où une vague de désir envahit Ianto, son amant se redressa, un large sourire aux lèvres.
— Ianto… j’ai réalisé aujourd’hui que tu comptes pour moi beaucoup plus que je ne le pensais… Lorsque nous avons perdu Owen et Toshiko, je me suis demandé ce que j’aurais fait si tu étais mort à leur place ou avec eux… et la réponse est que j’en serais sûrement devenu fou…
Le cœur du jeune homme se serra. Jack continua :
— Il m’a fallu plusieurs mois pour réussir à me décider… j’ai pesé le pour et le contre… et ce matin, j’ai compris que je ne devais plus tergiverser… la vie humaine est trop courte pour que je puisse prendre le luxe d’attendre… Je ne veux pas regretter un jour de ne pas avoir osé franchir le pas… Ianto, je sais que je ne te l’ai jamais dit, que j’aurais dû le faire depuis longtemps… Je t’aime.
Le gallois n'était pas encore remis de sa surprise que Jack sortait un écrin de sa poche et l’ouvrait, dévoilant deux anneaux identiques en platine.
— Veux-tu m’épouser ?
Ianto resta sans voix, incapable de répondre, sous le choc. Le regard de Jack était rempli d’espoir, mais son sourire se fana lentement alors que les secondes s’égrenaient implacablement et que le silence de son amant se prolongeait.
— Si c’est « non », dis-le moi maintenant… souffla le capitaine Harkness d'une voix faible.
Ianto était incapable de parler, la gorge serrée par la joie et l’émotion. Ne voulant pas que son compagnon se méprenne sur sa réponse, il se pencha pour l’embrasser avec fougue, le faisant basculer sur le sofa. Lorsqu’il put à nouveau s'exprimer, Jack sourit :
— Ça veut dire « oui » ?
— Oui.

***


La nuit suivante, ils s’étaient prouvé leur amour avec tendresse, passion et ferveur, comme jamais auparavant. Dès le lendemain, ils avaient annoncé la nouvelle à Gwen et Rhys. La jeune femme avait paru peinée, comme si elle avait encore quelque espoir de conquérir Jack, mais avait fini par les féliciter. Son époux, quant à lui, avait été ravi, sûrement rassuré de voir que le capitaine Harkness n'avait vraiment aucune vue sur sa femme.

Le grand jour était enfin arrivé. Ianto était devant son miroir, le cœur battant à tout rompre à l'idée qu'il allait bientôt épouser l'homme qu'il aimait. Il était tellement focalisé sur son bonheur qu'il sursauta lorsque des coups furent frappés à la porte. Le battant s'ouvrit sur le visage radieux de Rhiannon. Ianto n'ayant plus que sa sœur, il lui avait demandé de le conduire à l'autel, ce qu'elle avait accepté avec joie, soulagée de le voir enfin s'engager avec quelqu'un, même si la personne en question était un homme.

Lorsque Ianto entra dans la salle au bras de sa sœur, Jack se tenait debout près du magistrat qui allait présider la cérémonie. Il portait un costume et une cravate tous deux gris, avec une chemise bleu ciel, assortie à ses yeux. Ianto le fixait, oubliant tout ce qui n'était pas Jack, voulant graver son image dans sa mémoire à tout jamais. Ils avaient peu d'invités : Gwen et Rhys, bien sûr ; Martha Jones et son mari, Tom ; l'époux de Rhiannon et leurs enfants ; Alice, la fille de Jack, et Steven, son petit-fils.
Ianto rejoignit son compagnon qui lui sourit largement et se pencha pour lui souffler à l'oreille :
— Si tu savais l'effet que tu me fais habillé comme ça...
Le gallois eut du mal à ne pas rougir sous le regard intense de son amant. Il se tournèrent vers le magistrat qui débuta la cérémonie.
Ils n'échangèrent pas de vœux, juste les anneaux en platine à l'intérieur desquels ils avaient fait graver la même phrase : « Un amour plus éternel que l'éternité. »

Fin.


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