Le soleil n'avait pas encore pointé l'un de ses rayons au-dessus de l'horizon quand deux silhouettes encapuchonnées et armées quittèrent le château subrepticement, montées sur des chevaux rapides. Lorsque l'aube apparut enfin, l'Homme et l'Elfe avaient déjà parcouru plusieurs lieues. Ils avaient deux jours de chevauchée avant d'arriver au Gouffre de Helm et comptaient faire une courte escale à Edoras pour rendre visite à leurs amis. Pendant qu'ils galopaient en silence, Aragorn repensa à la conversation qu'il avait eue avec Frodon avant son départ.

Aragorn ne voulait pas quitter le château avant de s'être assuré que Frodon était tiré d'affaire pour le moment. Il déposa ses armes dans la salle du trône et, pendant que Legolas se chargeait de préparer les chevaux, le Roi se dirigea vers la chambre du Hobbit. Il entra sans faire de bruit dans la pièce plongée dans une semi-obscurité et fut surpris de ne pas y trouver Sam, mais fut soulagé car le Hobbit avait l'ouïe très fine et il aurait été réveillé facilement. Aragorn s'approcha du lit et observa la personne qui y dormait avec une tendresse toute paternelle. Il ne pouvait s'empêcher de repenser au serment qu'il avait fait à Frodon au Conseil d'Elrond et qu'il avait renouvelé avant qu'ils soient séparés. Il soupira, résistant à l'envie de repousser la mèche rebelle qui tombait sur le front de son ami. Alors qu'il s'apprêtait à sortir, un murmure le fit se retourner.

- Aragorn…

- Frodon. Je pensais que vous dormiez.

- Je dormais, en effet. Mais, j'ai senti votre présence… Vous allez partir, n'est-ce pas ?

- Comment le savez-vous ? S'étonna le Roi.

- Une intuition.

- J'espère que vous ne m'en voudrez pas de partir sans vous, mais je ne veux pas risquer votre vie, ni celle de nos amis.

- Je comprends et je respecte votre décision. Soyez prudent !

- Je le serais, répondit Aragorn en souriant. Et, j'espère pouvoir revenir avec de bonnes nouvelles pour vous.

Frodon se redressa, curieux.

- Pourquoi dites-vous cela ?

- Je préfère ne rien vous dire de plus pour le moment. Nous en reparlerons quand je reviendrais.

- Je suppose que Legolas part avec vous.

- Oui.

- Vous le remercierez encore pour tout ce qu'il a fait pour moi. Je lui en serais à jamais reconnaissant.

- Il le sait.

- Veillez sur lui, Aragorn. Il est fort, comme tous les Elfes, mais il est aussi très fragile. Je l'ai senti quand il m'a sauvé.

- Je ne le quitterais pas des yeux, je vous le promet. Frodon ?

- Oui.

- J'ai un service à vous demander.

- Je vous écoute.

- Je ne sais pas si nous allons rencontrer un danger quelconque, là où nous allons, mais, si par malheur, je ne revenais pas…

- Vous reviendrez ! l'interrompit le Hobbit d'une voix ferme.

- Je vous remercie de votre confiance, mais on ne sait jamais ce qu'il peut arriver. Si jamais je ne revenais pas, allez au Rohan et mettez-vous sous la protection de Faramir et d'Eowyn.

- Faramir est votre successeur ?

- Oui. Je l'ai choisi après… lorsque j'ai su que je n'aurais pas d'héritier. Promettez-moi que vous irez à Edoras s'il m'arrivait malheur.

- Je vous le promet.

- Merci.

Aragorn soupira car il savait qu'il était temps pour lui de partir, mais il hésitait à laisser son ami seul au château. Comme s'il avait deviné les pensées du Roi, Frodon sourit :

- Ne vous inquiètez pas pour moi. Sam, Merry et Pippin veilleront sur moi. Et puis, avec tous les gardes qu'il y a ici, nous ne risquons rien.

- J'ai donné des ordres pour que vous ne manquiez de rien.

L'Homme se retourna et sortit, le cœur lourd. Il n'avait pas peur d'une attaque sur le château. La seule chose qui le terrifiait était de revenir trop tard pour sauver son ami d'une autre "crise".

Aragorn soupira et Legolas se tourna vers lui, inquiet.

- Qu'y a t'il, mon ami ?

- J'espère seulement que nous trouverons cette pierre à temps.

- C'est également mon souhait le plus cher.

Ils chevauchèrent en silence pendant presque toute la journée, n'ayant aucun sujet de conversation à l'esprit. Lorsque la nuit tomba, ils se trouvaient encore à une assez grande distance d'Edoras et Aragorn décida de s'arrêter pour la nuit. Ils installèrent un petit campement et s'assirent près du feu. Le Roi sortit sa pipe et fuma en silence pendant que l'Elfe écoutait les bruits de la nature. Alors qu'il pensait que son ami s'était assoupi, Legolas se leva sans bruit et fit quelques pas en direction de la montagne qui se dressait non loin. Ils avaient décidé de la contourner, au lieu de la franchir. Cela rallongeait la route, mais la rendait plus sûre. L'Elfe s'allongea dans l'herbe et contempla les étoiles. Il maudissait sa condition qui ne l'obligeait pas à dormir et l'empêchait d'occulter un temps ses soucis dans le repos. Estel… Mon ami… Ses sentiments qui emplissent mon cœur son si forts… Mais, c'est impossible… Un bruit de pas le fit sursauter et il se redressa sur un coude. Aragorn s'assit à ses côtés et se tourna vers lui.

- A quoi pensais-tu ?

L'Elfe remercia l'obscurité qui cacha son trouble.

- A rien… Mon esprit vagabondait sans but…

- Je ne te crois pas. Tu n'as jamais su mentir. Tu n'as jamais su me mentir… Depuis ton arrivée au château, tu me caches quelque chose. Dis-moi ce que c'est.

- Je ne le peux… Pas pour le moment… Quand nous serons de retour au château, je pourrais peut-être… mais, pour l'instant, je ne peux rien te dire…

- Pourquoi ? Insista le Roi. Tu ne m'as jamais rien caché jusqu'à présent. Et aujourd'hui, tu ne me fais plus confiance ?

Legolas se leva d'un bond, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.

- Je t'en prie, Estel… Ne m'en demande pas plus pour l'instant.

L'Homme soupira.

- Bien. Mais, dès que nous serons de retour, je veux que tu me dises tout ce que tu as sur le cœur.

- Je te le promets. Tu sauras tout.

Même si ça doit t'éloigner de moi pour toujours… ajouta l'Elfe en pensée.

- Tu devrais aller dormir, Aragorn.

- Tu as raison. A demain.

- A demain.

Le lendemain matin, les deux compagnons reprirent la route, toujours aussi silencieux, plongés dans leurs pensées. Ils arrivèrent en vue d'Edoras en fin d'après-midi et décidèrent d'y faire une halte pour la nuit, avant de partir à la recherche de la pierre le jour suivant. Ils furent accueillis les bras ouverts par le Roi Theoden, Faramir et Eowyn. Ils furent surpris, mais heureux, de découvrir que la belle guerrière du Rohan attendait un héritier de son époux, le Capitaine Faramir. Au cours du dîner, Theoden interrogea les deux amis.

- Que nous vaut le bonheur de votre visite à Edoras ?

- Nous nous rendons au Gouffre de Helm.

Faramir et son épouse échangèrent un regard surpris.

- Vous ne savez donc pas ? Demanda la jeune femme.

- Que devrions-nous savoir ?

- Le bastion est entre les mains des Gobelins.

- Comment est-ce arrivé ? Interrogea Aragorn, étonné.

- Après la bataille à laquelle vous avez vaillamment participé, commença Theoden, notre peuple s'occupa de reconstruire les villages qui avaient été détruits par les hordes de Saroumane. Nous pensions que la reconstruction de la forteresse pourrait attendre. Mais, lorsque nous y sommes retournés, il y a quelques mois de cela, pour évaluer l'étendue des dégâts, nous avons été accueillis par une volée de flèches et certains périrent. Un Gobelin sortit alors du bastion et nous ordonna de partir car ils avaient pris possession des lieux.

Aragorn lança un regard désespéré à Legolas qui en frissonna. Jamais son ami n'avait baissé les bras devant les difficultés, mais là, il semblait épuisé. L'Elfe posa une main rassurante sur le bras d'Aragorn et se tourna vers leurs hôtes.

- Nous devons ramener une pierre magique qui se trouve dans la sépulture du Nain Drouain. Cette pierre possède des facultés qui peuvent nous aider à sauver un de nos amis d'une mort certaine.

- Alors, je vous aiderai, proposa Faramir.

- Je te remercie, mon ami, mais je ne préfère pas, répondit Aragorn. Tu vas être père et ce n'est pas le moment de risquer ta vie.

- Mais…

- De plus, j'ai quelque chose d'important à vous dire. Faramir, je t'ai choisi pour être mon successeur à la tête du Royaume du Gondor.

Le jeune homme n'eut pas l'air de comprendre immédiatement les paroles de son aîné.

- Vous voulez dire que…

- Je n'ai pas d'héritier et le Gondor a besoin d'un roi fort et courageux. Il faut donc que tu me survives.

Il se tourna vers Eowyn en souriant.

- Et le Gondor a besoin d'une reine aussi intelligente et brillante que belle.

La jeune femme rougit, mais ne tenta pas de dissimuler son trouble. Theoden se leva et proposa :

- Après ces sages paroles, je pense que vous devriez vous reposer. Votre tâche risque d'être rude.

- Je vous remercie, Roi Theoden.

Ils se dispersèrent dans le château. Alors que Legolas allait sortir pour réfléchir, il fut interpellé par Eowyn.

- J'aimerais vous parler.

- Je vous écoute.

- Allons dehors.

Il la suivit sur la terrasse. Elle se tourna alors vers lui, les yeux brillants.

- Vous le protègerez, n'est-ce pas ?

- Bien entendu. Pourquoi me posez-vous cette question ?

- Il a l'air si malheureux. J'ai appris que sa reine était morte. Il doit se sentir tellement seul.

- Vous l'aimez toujours ?

Elle leva vers lui un regard surpris et mit quelques secondes à répondre.

- Oui. Je ne peux pas oublier le premier amour qui a fait battre mon cœur. Et, même si j'aime mon mari, je n'oublierais jamais Aragorn. Mais je sais que même s'il n'y avait pas eu Faramir, je n'aurais jamais réussi à obtenir son amour.

- Pourquoi dites-vous ça ?

- Seule la pureté des Elfes peut le séduire. Il a aimé Arwen et aujourd'hui…

Son regard se fit si perçant que Legolas en fut mal à l'aise.

- Je ne comprends pas. Que voulez-vous dire ?

- Je sais que votre cœur a compris mes paroles. Prenez bien soin de lui.

Elle le laissa sur ces mots et rentra au château. Legolas resta seul sur la terrasse, encore abasourdi par ce que la belle Eowyn avait essayé de lui faire comprendre. Il partagerait mes sentiments ? Non, c'est impossible ! Et si… N'y pensons plus. Je dois me concentrer sur la recherche de la pierre magique et mettre mes sentiments de côté. Il soupira et s'assit sur un banc, fixant l'horizon.